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 Méthode Naturelle

La méthode naturelle en pédagogie Freinet, c'est créer des conditions favorisant les processus naturels d'apprentissage. Apprendre en pédagogie Freinet relève d'un cheminement. Processus. Incertitude. Pour l'éducateur il s’agit d’accepter l'incertitude.

Dans une pédagogie traditionnelle, apprendre, c'est suivre une trajectoire. Procédure. Progressivité. Attendus. L'éducateur affirme sa toute-puissance.

 

Et si la méthode naturelle en pédagogie Freinet se rapprochait de la nature :

Un jour, j’ai décidé d’abandonner ma tondeuse thermique pour une tondeuse hélicoïdale manuelle (je précise ce dernier point parce qu’il existe des tondeuses hélicoïdales thermiques : ce sont des machines très chères qui ont la réputation d’être les meilleures tondeuses qui soient, à l’anglaise, de celles qu’on utilise pour les golfs !). Par analogie, il y a quelques années auparavant, je m’étais demandé s’il était possible de faire classe sans photocopieuse.

L’objectif pour moi était de renoncer à tout appareillage thermique ou électrique pour entretenir mon jardin. De la contrainte, pensais-je, naitrait la nécessité d’imaginer une pratique originale en veillant pour autant à ce qu’elle ne soit pas pénible. Il y avait dans cette démarche une double intention : réduire ma dépendance à toute chose matérielle ayant un impact écologique négatif, et résister à un instinct grégaire conduisant chacun d’entre nous à reproduire ce que fait le plus grand nombre, pensant implicitement, que l’expérience portée par le plus grand nombre doit être au plus près d’une certaine vérité. (C’est ce qu’on appelle l’opinion)

Donc, pas de débroussailleuse ni de taille haie, encore moins de broyeur, de souffleur à feuilles ou de motoculteur. Bien entendu, il n’était pas question pour moi d’utiliser une quelconque substance chimique de synthèse pour remplacer et faciliter ce que j’avais abandonné mécaniquement.

A ce jour, j’ai à ma disposition, une tondeuse hélicoïdale, 2 faux, un fauchon, une faucille, une cisaille à gazon, une cisaille à haie, un sécateur de force appelé encore élagueur ou ébrancheur, un petit sécateur, une serpe, une scie à archet, un échenilloir-élagueur. Et je ne vous parle pas du matériel à jardiner tel que bêche, fourche bêche, louchet, fourche, houe etc …

Après ce renoncement d’un certain type de matériels, qu’ai-je constaté ? Que le nouveau n’équivaut pas à l’ancien non en raison de sa nature mais bien de son usage. Il permet de faire autre chose et surtout pas la même chose. Il y a un déplacement de l’usage, soit parce que c’est plus facile, soit parce que c’est plus difficile.

On juge un matériel ou une nouvelle pratique par rapport non pas à sa nécessité, sa fonction ou sa nature mais par ce qu’elle est censée substituer, améliore. Autrement dit, c’est le présent qui est la référence comparative. Le présent n’est pas jugé pour ce qu’il est. Ex : on va mettre des éoliennes pour les substituer en partie à la production d’énergie fossile. Or la production d’énergie actuelle fossile ou non, et sa consommation, n’est pas jugée selon sa nature, sa fonction et sa nécessité.

Si je change ma tondeuse thermique par une tondeuse manuelle, je ne modifie pas mes représentations de ce que doit être une tondeuse, du besoin qu’elle doit satisfaire, je regarde les avantages et les inconvénients selon un besoin commun.

C’est cette réalité qui est un obstacle majeur au changement de nos comportements en matière de réduction de consommation de … tout. 

Revenons à mon choix de substituer ma tondeuse thermique par une tondeuse manuelle : dans un premier temps, très content de ma nouvelle acquisition, j’ai voulu tondre la même surface d’herbe qu’avec ma tondeuse thermique. Or deux paramètres vinrent de suite s’imposer à moi :

1.      

La durée de la tâche

2.      

L’effort pour réaliser la tâche

C’est plus dur et c’est plus long à ambition égale. Comme c’est plus dur intrinsèquement ça devient plus long. Mais comme c’est plus long, la fatigue s’installant rapidement, ça devient encore plus dur !

Bref, cet effort nouveau m’a conduit à penser mon jardin autrement. Peut-être me limiter à un critère de temps : consacrer le même temps à mon jardin pour savoir où je dois porter mon effort et ce que cela produit. L’expérience s’ajoutant, me dis-je, je travaillerai mieux pour une productivité meilleure. En conséquence, j’émis l’hypothèse qu’avec le temps et le savoir-faire, je me rapprocherais de la somme de travail réalisée antérieurement avec ma tondeuse thermique. Donc, dans un premier temps, je me suis dit : « Tu fais ce que tu peux faire. » Et puis, rapidement, je me suis demandé pourquoi je m’acharnais à tondre une si grande surface alors que je n’en utilisais que le tiers. Et puis, la fatigue se faisant plus significative au fur et à mesure que je poussais l’engin, je me suis dit : « tu fais ce dont tu as besoin ». J’ai donc tondu ce qui se trouvait devant ma maison et pas derrière. Car c’est « devant » que les enfants jouent, qu’on installe table et chaises et autres meubles de jardin.

L’abandon d’outils permettant de faire un travail plus rapidement revient à considérer la fonction et la nature du temps gagné : Gagner du temps sur quoi ? Gagner du temps pour quoi ?

L’outil thermique ou électrique renforce l’individualisme car il nous permet de faire seul ce qui demanderait plus de personnes ou plus de temps pour le faire. On le constate à l’évidence dans l’agriculture moderne. Un seul paysan suffit à cultiver 200 ha quand, il y a cent ans, il en fallait 10 ou 20.

De ces constats, j’ai voulu en faire un sujet permanent de réflexion pédagogique. Qu’y a-t-il de plus anxiogène pour un enseignant nouvellement arrivé dans une école que d’apprendre que la photocopieuse est en panne ? Apprend-on moins bien, moins de choses sans ordinateur, sans appareils photo numérique, sans vidéo projecteur, sans photocopieuse ?

Pour moi, l’objectif d’un tel abandon matériel, c’était de me concentrer sur l’essentiel : Qu’est-ce qu’apprendre ? Qu’est-ce qu’un savoir ? Que doit-on apprendre ?

En pédagogie, le recours aux machines modernes est devenu la règle et par-delà une nécessité. Leur existence se révèle comme un postulat. On pense la pédagogie après la machine.

Or, il faudrait que la méthode naturelle en pédagogie soit de même nature que ce qu’on y entend quand il s’agit par exemple de soin, de jardin ou d’alimentation. Cela ne remet pas en cause les principes et la philosophie de la pédagogie Freinet.

Nous, pédagos Freinet, avons été très novateurs dans l’utilisation des outils « modernes », sans les avoir correctement interrogés sur leur condition de fabrication, de conception, d’existence et de fin de vie, sans les interroger sur leur nécessité.

Mais on répond fréquemment à ce type de critique en affirmant que c’est au nom de notre projet « émancipateur » que nous mettons ces outils à notre service, et qu’en les détournant de leur but initial, ces objets deviennent une arme de combat par notre volonté qui en transcende la nature. Avec une telle rhétorique, à bien y regarder, comme Jésus était capable de changer l’eau en vin, nous serions capables de changer le vidéoprojecteur en symbole de transformation social.  Sérieusement, mon propos n’est pas de s’accrocher à un immobilisme de principe, mais à une raison de bien-être.

Je plaide pour que tout éducateur se pose avant tout la question de la nécessité des choses, du sens du progrès quand il fait le choix d’utiliser un nouvel objet technologique. Qu’il se pose la question de son élaboration, de son économie et surtout de sa nécessité dans sa pratique pédagogique.

A-t-on besoin pour l’avenir éducatif de l’humanité de photocopieuses, de plastifieuses, d’ordinateurs, de vidéo projecteurs, de téléphones mobiles, de correspondants situés à des dizaines de kilomètres de notre école, de bus pour se rendre au musée ou à la bibliothèque ou au salon de « la foule  et de l’animation occupationnelle » etc … pour transmettre nos valeurs, pour éduquer les enfants qu’on nous confie aux libertés fondamentales et qui s’occuperont de nous, bientôt, en connaissance de cause ? Se rendre dépendant d’objets électroniques, électriques, thermiques dans sa pratique éducative, c’est, à terme, rendre dépendant aux mêmes objets les êtres que l’on a charge d’éduquer. C’est aussi ne pas voir ni apprendre sur notre milieu le plus proche. Un savoir constitué c’est, en premier lieu, une mémoire sensible, sans médiations technique.

Un savoir, qu’il soit pour faire ou être, se construit d’abord par une représentation symbolique, c’est-à-dire une attitude conforme à ce qu’on attend de nous, conforme à ce que l’on pense qu’on attend de nous, conforme à ce que l’on pense comme étant le mieux adapté. Or, ce qu’on envisage comme le mieux adapté c’est ce qui, bien souvent, est le mieux partagé. L’usage d’un savoir maitrisé et sa conceptualisation viennent bien après. Ce qui reste c’est l’empreinte symbolique. C’est ce qui a frappé notre esprit en premier. C’est pourquoi, c’est d’un travail sur ces représentations symboliques qu’il faut penser, auquel il faut se soumettre.

Ce qui doit être premier dans un état de conscience c’est ce qui est nécessaire et non ce qui est partagé. Ce qui n’exclut pas que la nécessité peut être une réalité partagée.

Par exemple, le « c’était mieux avant » est un bon point de départ d’une réflexion sur l’idée qu’avant, l’éducation, la marche vers les savoirs, n’était pas moins pertinente au point qu’il aurait fallu attendre des progrès technologiques pour transcender les progrès individuels. Pensons que les philosophies de Platon, de Montaigne sont aussi fertiles aujourd’hui qu’elles l’étaient en leur temps.

Ce qui, aujourd’hui, permet d’aller plus vite, ne change pas la vitesse de notre aptitude à penser.

Le « Progrès » au service des progrès des individus et, par-delà, de l’humanité ?

Absurde et Abusif.

 

Il n’y a pas de progrès technologique. Il est intéressant de noter que quand on parle de progrès technologique, on l’associe à une source d’émancipation des individus. Libérer du temps, de l’effort pour … ? pour quoi ?

Si l’imprimerie a été un outil emblématique de la PF c’est parce qu’elle obligeait le collectif à penser sa fonction, à imaginer de nouveaux usages, mais aussi qu’une imprimerie nécessitait une organisation collective pour la rendre opérationnelle, depuis son installation jusqu’au rangement. Les classes d’alors étaient très hétérogènes (classe uniques). L’imprimerie a créé une contrainte, cad les conditions d’une constitution d’un collectif devant agir de façon coopérative, ce que l’ordinateur a fait disparaitre. Le traitement de texte n’est pas une version moderne de l’imprimerie.

Enfin, l’école n’a pas permis à la société de progresser si on considère que progresser serait mieux vivre ensemble, se soucier de l’autre, participer à la vie sociale ou communautaire.

janvier 2024