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logo blog Le premier livre de L’Émile de Rousseau, le corps, l’esprit et l’émancipation.

Émile n’a jamais existé, il est un élève fictif qu’imagine Rousseau. Son livre va présenter son évolution de la naissance à l’âge adulte, modelé par ses soins en accord avec ses idées philosophiques, politiques et, bien sûr, éducatives. Le livre premier (l’ouvrage en contient cinq en tout) évoque la prime enfance d’Émile, de la naissance à ses deux ans, l’âge des apprentissages les plus fondamentaux qui influeront fortement sur la suite de sa vie.

Trois états, trois démarches

L’Émile de Rousseau n’est pas une œuvre détachée de ses autres ouvrages mais au contraire, s’inscrit totalement dans la logique globale de la pensée rousseauiste. Il élabore une pensée en matière d’éducation totalement intégrée à un système cohérent promouvant selon ses termes « l’ordre naturel » qui serait une sorte de synthèse entre un « état naturel », dans lequel l’Homme serait individualisme pur et un « ordre social » faisant de l’individu une abstraction réduite à son aspect utilitaire pour la société humaine.

Dans l’ordre naturel l’individu est « émancipé », autrement dit il est capable de jouir de toutes ses facultés librement tout en ayant conscience d’appartenir à une condition humaine universelle. C’est parce que l’Homme a appris à jouir des ses potentialités intellectuelles, physiques, morales et sociales qu’il lui est possible de s’émanciper. Au contraire, la conscience de l’universel est ce qui manque à l’Homme de « l’état naturel » et la conscience de l’humaine nature ce qui manque à l’Homme dans « l’ordre social ».

Rousseau présente ainsi les objectifs de l’éducation dans « l’ordre naturel » :

Dans l’ordre naturel, les hommes étant tous égaux, leur vocation commune est l’état d’homme ; et quiconque est bien élevé pour celui-là ne peut mal remplir ceux qui s’y rapportent. Qu’on destine mon élève à l’épée, à l’église, au barreau, peu m’importe. Avant la vocation des parents, la nature l’appelle à la vie humaine. Vivre est le métier que je veux lui apprendre. En sortant de mes mains, il ne sera, j’en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre ; il sera premièrement homme : tout ce qu’un homme doit être, il saura l’être au besoin tout aussi bien que qui que ce soit ; et la fortune aura beau lui faire changer de place, il sera toujours à la sienne.

En filigrane il apparaît que l’objectif de l’éducation dans l’ordre social est purement « utilitariste » A savoir que l’enfant est « destiné » à un rôle social pour lequel on va le modeler. A l’heure où l’école française est encore et toujours la plus inégalitaire des pays de l’OCDE force est de constater l’actualité, l’acuité et la pertinence de la pensée rousseauiste.

Mais pareillement, une éducation relevant de « l’état naturel » et faisant de l’individu lui-même la seule finalité n’est pas plus bénéfique. L’individu ainsi éduqué devient sa propre finalité sans se soucier d’autre chose que de ses caprices. Autrement dit soit l’enfant est éduqué pour devenir un Maître soit il l’est pour devenir un Esclave mais jamais, l’on ne se soucie d’en faire un Homme, libre et débarrassé des passions :

En naissant l’enfant crie ; sa première enfance se passe à pleurer. Tantôt on l’agite, on le flatte pour l’apaiser ; tantôt on le menace, on le bat pour le faire taire. Ou nous faisons ce qu’il lui plaît ; ou nous nous soumettons à ses fantaisies, ou nous le soumettons aux nôtres : point de milieu, il faut qu’il donne des ordres ou qu’il en reçoive. Ainsi ses premières idées sont celles d’empire ou de servitude. Avant de savoir parler il commande, avant de pouvoir agir il obéit ; et quelque fois on le châtie avant qu’il puisse connaître ses fautes, ou plutôt en commettre.

C’est ainsi qu’on verse de bonne heure dans son jeune cœur les passions qu’on impute ensuite à la nature, et qu’après avoir pris peine à le rendre méchant, on se plaint de le trouver tel.

Rousseau développera longuement le thème de l’éducation des Maîtres dans le livre second à travers l’exemple d’un élève qu’il a eu de manière temporaire. On peut y reconnaître un type d’enseignement toujours pratiqué aujourd’hui et même affectionné par les classes dominantes lorsque leur progéniture est en âge de fréquenter les bancs de l’école. Il s’agit dans la grande majorité d’établissements privés, proposant à la carte des « pédagogies innovantes » et dont la « matrice » et le dénominateur commun est généralement la pédagogie Montessori. Ces pédagogies, s’accordent parfaitement à l’objectif de former les dominants de demain dans un désir de reproduction sociale dont la France s’est faite une spécialiste. D’ailleurs, la promotion éhontée du dernier avatar montessorien à la mode, Céline Alvarez (citée par tous les neuroscientifiques salonnards devant leur carrière à leur complaisance envers les injonctions politiques, qu’il s’agisse de Stanislas Dehaene, Olivier Houdé ou autres…), en est une preuve supplémentaire.

En ce qui concerne l’éducation des Esclaves comment ne pas reconnaître l’école publique qui est aujourd’hui trop souvent réduite à une fonction de tri social utilitariste et autoritaire ? En effet, à l’heure où les injonctions absurdes se multiplient, ou l’arbitraire et la précarité le disputent à la compétition et la sélection à outrance l’école publique est exsangue, ne propose que l’apprentissage de la réalité que les politiques néo-libérales souhaitent imposer, celle du « travail et tais-toi » et du « si tu ne réussis pas c’est de ta faute ». Tout cela peut s’observer dès le plus jeune âge, celui des leçons les mieux retenues et les plus indélébiles, avant même que l’école ait pris en charge l’éducation de l’enfant.

Comme le premier état de l’homme est la misère et la faiblesse, ses premières voix sont la plainte et les pleurs. L’enfant sent ses besoins et ne peut les satisfaire, il implore le secours d’autrui par les cris : s’il a faim ou soif, il pleure ; s’il a froid ou trop chaud, il pleure ; s’il a besoin de mouvement et qu’on le tienne en repos, il pleure ; s’il veut dormir et qu’on l’agite, il pleure (…)

De ces pleurs, qu’on croirait si peu dignes d’attention, naît le premier rapport de l’homme à tout ce qui l’environne : ici se forge le premier anneau de cette longue chaîne dont l’ordre social est formé.

Quand l’enfant pleure, il est mal à son aise, il a quelque besoin, on le trouve on y pourvoit. Quand on ne le trouve pas ou quand on n’y peut pourvoir, les pleurs continuent, on en est importuné : on flatte l’enfant pour le faire taire, on le berce, on chante pour l’endormir : s’il s’opiniâtre, on s’impatiente, on le menace : des nourrices brutales le frappent quelques fois. Voilà d’étranges leçons pour son entrée à la vie.

Ainsi l’état de nature, l’ordre social et l’ordre naturel possèdent chacun leur école idéale. L’école qui forme les Maîtres pour le premier, l’école qui forme les Esclaves pour le second et l’école qui forme les Hommes en ce qui concerne le dernier. Attardons nous maintenant sur l’éducation de « l’ordre naturel », celle dont l’objectif est finalement d’émanciper l’individu.

Ce qui est pareil ou ce qui est différent ?

Tout d’abord remarquons que Rousseau ne part pas de l’individu et de ce qui lui est particulier mais de la part d’universel en lui. En effet, il commence par faire le constat que l’Homme le plus savant partage avec le plus grossier la majeure partie de son savoir. Autrement dit, l’humanité dans son ensemble apprend le métier d’humain, au-delà des contingences diverses et ce dès la naissance :

Je le répète, l’éducation de l’homme commence à sa naissance ; avant de parler, avant que d’entendre, il s’instruit déjà. L’expérience prévient les leçons ; au moment qu’il connaît sa nourrice, il a déjà beaucoup acquis. On serait surpris des connaissances de l’homme le plus grossier, si on suivait son progrès depuis le moment où il est né jusqu’à celui où il est parvenu. Si on partageait toute la science humaine en deux parties, l’une commune à tous les hommes, l’autre particulière aux savants, celle-ci serait très petite en comparaison de l’autre. Mais nous ne songeons guère aux acquisitions générales, parce qu’elles se font sans qu’on y pense et même avant l’âge de raison ; que d’ailleurs le savoir ne se fait remarquer que par ses différences, et que, comme en algèbre, les quantités communes se comptent pour rien.

C’est par la force de l’expérience, qui fait que dès la naissance l’être humain apprend de ce qu’il vit, qu’il s’éduque et que dès l’âge de deux ans auront été acquises de nombreuses connaissances communes à tous. Rousseau se propose finalement d’aller simplement dans ce sens et de suivre le développement « des facultés et des organes » de l’enfant et son expérience pour prolonger le processus de découvertes et d’apprentissages entamé dès la naissance.

L’efficacité éducative viendrait de la cohérence entre le but, l’émancipation, et les moyens mis en œuvre. Autrement dit, c’est en allant dans le sens de la réalité immédiate de l’enfant que l’on peut mettre en œuvre une éducation émancipatrice et sensible. Aller contre le développement naturel de l’enfant, ses besoins physiologiques, ses découvertes de ses facultés fera fatalement de lui un Maître, a qui il faut obéir en tout ou un Esclave soumis aux désirs d’autrui. C’est la raison pour laquelle l’éducation de la nature doit être centrale dans l’éducation proposée par Rousseau puisque parmi les trois types d’éducation reçus par chacun (celle de la nature, celle des hommes et celle des choses) elle est la seule sur laquelle l’homme ne peut rien changer. Il faut donc faire en sorte que les deux autres types aillent dans son sens :

L’éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des choses. Le développement interne de nos facultés et de nos organes est l’éducation de la nature ; l’usage qu’on nous apprend à faire de ce développement est l’éducation des hommes ; et l’acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent est l’éducation des choses.

Chacun de nous est donc formé par trois sortes de maîtres. Le disciple dans lequel leurs diverses leçons se contrarient est mal élevé, et ne sera jamais d’accord avec lui-même ; celui dans lequel elles tombent toutes sur les mêmes points, et tendent aux mêmes fins, va seul à son but et vit conséquemment. Celui-là seul est bien élevé.

Or de ces trois éducations différentes, celle de la nature ne dépend pas de nous ; celle des choses n’en dépend qu’à certains égards. Celle des hommes est la seule dont nous soyons vraiment les maîtres ; encore ne le sommes-nous que par supposition ; car qui est-ce qui peut espérer de diriger entièrement les discours et les actions de tous ceux qui environnent un enfant ?

Sitôt donc que l’éducation est un art, il est presque impossible qu’elle réussisse, puisque le concours nécessaire à son succès ne dépend de personne. Tout ce qu’on peut faire à force de soins est d’approcher plus ou moins du but, mais il faut du bonheur pour l’atteindre !

Quel est ce but ? C’est celui même de la nature ; cela vient d’être prouvé. Puisque le concours des trois éducations est nécessaire à la perfection, c’est sur celle à laquelle nous ne pouvons rien qu’il faut diriger les deux autres.

Comment ne pas faire le lien ici avec la méthode naturelle théorisée par Freinet qui se propose finalement le même projet, celui d’une école qui émancipe et les mêmes moyens, celui d’une éducation qui repose sur l’expérience sensible : « Aucune, absolument aucune des grandes acquisitions vitales ne se fait par les procédés apparemment scientifiques. C’est en marchant que l’enfant apprend à marcher ; c’est en parlant qu’il apprend à parler ; c’est en dessinant qu’il apprend à dessiner. Nous ne croyons pas qu’il soit exagéré de penser qu’un processus si général et si universel doive être exactement valable pour tous les enseignements, les scolaires y compris. Et c’est forts de cette certitude que nous avons réalisé nos méthodes naturelles dont les scientistes essaient de contester la valeur » Freinet comme Rousseau veut permettre à l’enfant de développer harmonieusement ses facultés et ses organes, les unes allant de pair avec les autres et permettant au fur et à mesure de leurs progrès d’élargir le champs des apprentissages nouveaux. Corps et esprit sont étroitement liés, voyons maintenant un exemple concret développé longuement afin d’illustrer son propos, celui de l’emmaillotage.

L’exemple de l’emmaillotage

Il est indéniable que le corps et l’esprit ont partie liée selon Rousseau. Il va même plus loin en mettant en lumière l’interdépendance, voire le rapport de force entre les deux. Un corps faible asservira l’esprit qui ne pourra totalement se déployer, contraint par des contingences physiques :

Il faut que le corps ait de la vigueur pour obéir à l’âme : un bon serviteur doit être robuste. Je sais que l’intempérance excite les passions ; elle exténue aussi le corps à la longue ; les macérations, les jeûnes, produisent souvent les mêmes effets par une cause opposée. Plus le corps est faible, plus il commande ; plus il est fort plus il obéit.

Afin d’expliquer cette interrelation Rousseau développe l’exemple de l’emmaillotage qui était une tradition très fortement ancrée alors dont il va démontrer l’absurdité et l’aspect contre-nature. Ne pas laisser l’enfant se développer comme il en a besoin est « criminel » selon lui en premier lieu parce que cela est une violence physique faite au nouveau-né, une entrave à la liberté de mouvement et cela fait de cette pratique le premier apprentissage de l’injustice :

Non seulement l’emmaillotage est une gêne physique amenant un sous développement du corps de l’enfant voire une atrophie dans les cas les plus douloureux mais, de surcroît, il est responsable des premières découvertes de l’injustice, du mensonge, de la soumission, bref, des tares morales issues de l’ordre social.

Rousseau recommande donc tout l’inverse, de libérer l’enfant de toute contrainte non nécessaire pour lui permettre de se développer physiquement :

Au moment où l’enfant respire en sortant de ses enveloppes, ne souffrez pas qu’on lui en donne d’autres qui le tiennent plus à l’étroit. (…) Quand il commence à se fortifier, laissez le ramper par la chambre ; laissez-lui développer, étendre ses petits membres ; vous les verrez se renforcer de jour en jour. Comparez-le avec un enfant bien emmailloté du même âge : vous serez étonnés de la différence de leurs progrès.

À l’emmaillotage si nuisible parce qu’il entrave le développement des « facultés et des organes » du nourrisson Rousseau oppose l’expérimentation de la liberté. Laisser le nourrisson maître de ses mouvements c’est lui permettre d’agir, d’éprouver sa liberté et de s’ouvrir au monde. Ceci est la base même de l’émancipation ; reprendre le pouvoir sur sa vie. Ceci commence selon Rousseau dès la naissance par l’usage et le renforcement de ses possibilités physiques :

Préparez de loin l’usage de sa liberté et l’usage de ses forces en laissant à son corps l’habitude naturelle, en le mettant en l’état d’être toujours maître de lui même, et de faire en toute chose sa volonté, sitôt qu’il en aura une.

Dès lors ses premières acquisitions sensibles peuvent advenir car toute découverte se fait d’abord par l’envie de découvrir et la possibilité de le faire. Rousseau liste alors celles-ci :

Il veut tout toucher, tout manier : ne vous opposez point à cette inquiétude ; elle lui suggère un apprentissage très nécessaire. C’est ainsi qu’il apprend à sentir la chaleur, le froid, la dureté, la mollesse, la pesanteur, la légèreté des corps, à juger de leur grandeur, de leur figure, et de toutes leurs qualités sensibles, en regardant, palpant, écoutant, surtout en comparant la vue au toucher, en estimant à l’œil la sensation qu’ils feraient sous ses doigts.

Ce n’est que par le mouvement que nous apprenons qu’il y a des choses qui ne sont pas nous ; et ce n’est que par notre propre mouvement que nous acquérons l’idée de l’étendue.

Nous voyons bien à quel point, selon Rousseau, le développement des capacités corporelles est lié aux premiers apprentissages et que sans les unes, les autres ne peuvent advenir.

Le livre deuxième de l’Émile, sur le sujet de l’éducation jusqu’aux douze ans de l’enfant confirmera ce lien entre « facultés » et « organes ». L’éducation qui émancipe l’Homme est une éducation invitant à la fusion du corps et de l’esprit. Pour rappel, voici ce qu’écrivait Freinet en 1921 dans un texte intitulé l’Éducation et rappelant si fortement la pensée Rousseauiste telle que nous venons de l’étudier :

Et les éducateurs prétendaient façonner les esprits à leur manière ; ils oseraient s’attribuer le mérite de tel ou tel développement heureux et de l’étouffement de tendances jugées déplorables ! Ils ne se doutent même pas qu’ils sont comparables au médecin qui, croyant utile de surdévelopper les bras aux dépens des jambes prescrirait le sédentarisme jusqu’à l’atrophie. Il devient banal aujourd’hui de dire que la domination tyrannique de l’adulte, tant sur le plan physique que sur le plan intellectuel et moral, entrave le développement normal de l’enfant, qu’elle est cause de déviations regrettables, de refoulements et de déséquilibre. Elle est un ferment de désorganisation qui a suffisamment montré sa malfaisance et son pouvoir d’abêtissement et d’asservissement.

L’émancipation passe bien par le développement harmonieux du corps et de l’esprit mais, et nous conclurons là-dessus, elle est aussi et surtout, de manière plus générale, dans l’attitude de l’éducateur envers l’enfant.

En conclusion : alpinisme ou sauvetage en mer ?

Rousseau lui-même résume finalement la bonne éducation de l’enfant selon ses préceptes à quatre maximes :

Loin d’avoir des forces superflues, les enfants n’en ont pas même de suffisantes pour tout ce que leur demande la nature ; il faut donc leur laisser l’usage de toutes celles qu’elle leur donne et dont ils ne sauraient abuser. Première maxime.

Il faut les aider et suppléer à ce qui leur manque, soit en intelligence, soit en force, dans tout ce qui est du besoin physique. Deuxième maxime.

Il faut, dans le secours qu’on leur donne, se borner uniquement à l’utile réel, sans rien accorder à la fantaisie ou au désir sans raison ; car la fantaisie ne les tourmentera point quand on ne l’aura pas fait naître, attendu qu’elle n’est pas de la nature. Troisième maxime.

Il faut étudier avec soin leur langage et leurs signes, afin que, dans un âge où ils ne savent point dissimuler, on distingue dans leurs désirs ce qui vient immédiatement de la nature et ce qui vient de l’opinion. Quatrième maxime.

Être à hauteur d’enfant et l’aider à lui faire lever la tête vers les savoirs ou se baisser depuis son promontoire de connaissances et tendre la main pour tenter de lui permettre de s’installer en haut à côté de nous. Que l’on réfléchisse à ces différentes postures et à leurs implications psychologiques pour les enfants et il apparaît que tout le monde préfère être aidé pour franchir des obstacles que de risquer de se noyer si on ne parvient pas à saisir la main tendue.

La grande modernité de Rousseau est là, dans le positionnement de l’éducateur envers l’enfant dont il est finalement plus la ressource présente en cas de besoin mais sans interventionnisme excessif. Il est une sorte d’interface entre l’élève et le monde essayant de comprendre les difficultés rencontrés par lui afin de l’amener à l’autonomie en l’invitant à se saisir de nouveaux éléments qu’il lui amène.

Voilà pourquoi il est possible de comparer Rousseau à la personne qui assure le grimpeur qui gravit une montagne en tête de cordée car il est au même point que lui au départ, à savoir au sol, il est attaché à la même corde que lui et il veille à ce que son escalade se déroule sans accident en affermissant la corde qui empêchera la chute au sol mais pas les erreurs qui déséquilibrent. Il pourra aussi le conseiller en ayant un angle de vue différent de celui de l’enfant qui, gravissant la montagne, est collé à elle et n’a donc pas sur elle une vue englobante.

L’éducateur dans une posture plus traditionnelle serait, lui, comparable au sauveteur en mer qui, depuis son hélicoptère, envoie une corde à la personne en train de se noyer. L’opération, loin de se dérouler dans la sage étude minutieuse du terrain permettant de franchir l’obstacle se déroule dans la panique, selon le principe de survie et sous la menace impérieuse pour l’enfant de l’échec lourd de conséquences.