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logo blog De quoi l’école de Jean-Michel Blanquer est-elle le nom ?


L’école « officielle », celle de notre institution est, en ce moment, toute entière incarnée dans la personnalité même de notre très médiatique ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer, celui qui a sans doute poussé le plus loin la logique de communication à outrance, remplaçant, dans les faits, le bulletin officiel par les déclarations télévisuelles ou radiophoniques.

Chercher à définir ce qu’est l’école aujourd’hui (et ce qu’elle risque d’être demain), c’est donc s’intéresser à ce qu’en dit, et ce qu’en fait, Jean-Michel Blanquer.

Analyser cette école, c’est somme toute, tenter de répondre à la question : de quoi l’école incarnée par Jean-Michel Blanquer est-elle le nom ?

Montre-moi ta circulaire, je te dirai quel ministre tu es

Quel meilleur matériel pour notre investigation que la circulaire de rentrée 2020 publiée le 7 juillet 2020, après une crise historique, celle du Covid-19 qui a frappé la société dans sa globalité et peut-être plus singulièrement encore l’Education Nationale en empêchant, a priori, que n’existe sa forme historique : un maitre face à des élèves.

Cette période, qui a mis en évidence les inconséquences du ministre, l’impréparation de son institution et la formidable capacité d’adaptation des enseignants a, paradoxalement, réussi à renforcer la position du ministre qui a bénéficié d’un portefeuille élargi lors du remaniement qui a suivi, en récupérant notamment dans son giron le sport.

Cette circulaire est donc publiée après une fin d’année marquée par l’instabilité, une forme de déséquilibre même, dans le sens où l’on a pu sentir l’institution vaciller sur ses fondements et alors que la popularité du BFMesque ministre est au plus bas.

Paroles, paroles, paroles...

Que nous dit cette note de rentrée, et que passe-t-elle sous silence ?

La première chose qui saute aux yeux à la lecture de ce document de cadrage de l’année scolaire c’est l’importance donnée aux évaluations, à la recherche de conformité à la norme, au contrôle finalement permanent du travail des élèves et des enseignants. Au sein de ces évaluations, force est de constater d’ailleurs que toutes les disciplines ne se valent pas (seuls le français et les mathématiques seront évalués) et que certaines compétences apparaissent comme essentielles aux yeux du ministre.

Il en est ainsi de la fluence, cette capacité à lire rapidement et de manière fluide un texte inconnu. Jean-Michel Blanquer en fait l’alpha et l’oméga de son action. En dehors de la fluence, point de salut ! Cette capacité (certes importante, mais au même titre que beaucoup d’autres) lui semble tellement primordiale qu’il recommande même de priver de certaines disciplines scolaires les élèves dont les évaluations auraient été insuffisamment réussies !

Quelles seront ces disciplines « sacrifiées » vous demandez-vous dans le confort douillet de votre salon ? Sans jouer les prophètes, il y a fort à parier que ce sont les disciplines culturelles et sportives qui auront à pâtir de cette nouvelle politique. Un indice est en effet caché dans cette circulaire de rentrée puisqu’il est question de « développer le sport et la culture dans la VIE de chaque élève ». Or, la vie de l’élève ne s’arrêtant pas aux portes de son établissement, il est à craindre que par cette subtile formule, Jean-Michel Blanquer n’annonce un renvoi du sport et de la culture vers le périscolaire, à travers notamment son dispositif 2S2C qui est financé en grande partie par les municipalités. Rappelons au passage que l’investissement financier par élève varie de 1 à 10 en fonction des communes et nous aurons une idée de l’éducation « égalitaire » qu’entend préparer le ministre Blanquer.

Le plan français

Cette circulaire marque aussi la volonté de toujours davantage contrôler le travail enseignant, en renforçant les évaluations nationales d’une part, mais aussi en publiant toujours plus des petits guides orange, ces livres saints dans lesquels Jean-Mao Blanquer délivre ses précieuses instructions sur la manière dont il faut faire classe. Il est aussi cocasse de s’attarder sur une innovation de cette rentrée : le « plan français ». Présenté comme un outil permettant de favoriser le travail collectif et de reconnaitre la professionnalitée des enseignants, ce dispositif, dans son application visera l’exact contraire.

La mise en œuvre de cette modalité nouvelle de formation rendra en effet possible le travail collectif des enseignants. Toutefois, celui-ci ne pourra exister que conformément à des objectifs fixés par le ministre, selon des modalités définies par lui, en appui sur des connaissances scientifiques qu’il aura validées (faisant fi des autres), et en étant contrôlés par des conseillers pédagogiques dûment formés aux saintes Écritures. Tout cela donc en niant les besoins de terrain des enseignants, mais aussi l’existence, l’expertise et l’apport (historique comme récent) des mouvements pédagogiques et de leurs expérimentations « qui ont fait leurs preuves » comme celles de Mons en Barouel.[1]

Des symboles et des cymbales

Finalement, ce qui ressort de cette circulaire de rentrée, c’est, au-delà de quelques symboles (ainsi la formule sur les valeurs civiques fixant comme objectif « le gouvernement de l’homme sur lui-même et par lui-même ») et de quelques cymbales (une chorale dans chaque école pour une rentrée en musique !), une volonté forte.

La volonté du ministre de transformer en profondeur l’essence même de l’école. Ce que veut Jean-Michel Blanquer, c’est une école du dressage, du conditionnement, de la soumission aveugle à l’autorité. C’est une école du test permanent, de la conformation, une école, pour parodier sa célèbre formule, du « lire, écrire, compter, se soumettre ». Une école qui refuse aux élèves en difficulté avec la « fluence » de trouver une place, de s’épanouir, de « prendre parfois la tête du peloton » comme le disait Freinet. C’est une école qui entend tuer l’élan vital de la découverte, du plaisir, de la réussite, de l’ouverture, du partage. C’est l’école qui habille son projet de dressage et d’enfermement intellectuel derrière les apparats de la confiance (à sens unique) et de la bienveillance (pour son ministre).

L’école de Jean-Michel Blanquer, cette école réformée à coups de bulldozer, sans considération pour l’écosystème scolaire, cette école de l’emprise bureaucratique, nous pouvons la qualifier, et pour cela, offrons-nous un petit détour « historique » et agricole.

 

Petite histoire du remembrement rural...

 

Dans les années 60, sous couvert de modernité, d’adaptation aux contraintes du marché, de rationalisation des cultures, d’efficacité et de rentabilité, les gouvernements successifs se sont lancés dans un vaste projet de « remembrement rural ».

L’objectif était simple, les moyens radicaux (rappelant furieusement les méthodes agricoles staliniennes), il s’agissait de travailler uniformément sur des parcelles immenses en détruisant les anciennes haies (750 000 km ont ainsi disparu !), les vieux chemins creux, les talus, les mares, les méthodes traditionnelles d’élevage et d’agriculture. Il fallait aussi sélectionner les cultures les plus rentables, les méthodes les plus rapides, les plus productives, en abandonnant toutes les autres. La lumière de la Science allait désormais guider les anciens païens de la paysannerie. Les zélés bureaucrates et les ingénieurs agronomes, nouveaux apôtres du modernisme et du progrès prenaient enfin le pouvoir pour transformer les paysans, ces gens de la terre, en ouvriers spécialisés, exécutant les méthodes « scientifiquement » validées. Il fallait finalement détruire la « culture de la culture ».

On allait voir ce qu’on allait voir !

Et nous avons vu en effet. Nous avons certes vu croitre la productivité par hectare, mais à quel prix !

Le prix du pêché

Ces nouvelles cultures étaient si peu adaptées à leur environnement qu’elles nécessitaient la mise en œuvre de nombreux dispositifs mécaniques et apports chimiques pour les soutenir et les rendre pérennes.

Les cultures étaient si uniformes qu’elles ont entrainé une perte considérable du nombre et de la variété de la flore et par effet domino, de la faune, portant un coup sans précédent à la richesse de la biodiversité.

Les sols ont été tellement cultivés, traités à coups d’apports chimiques, surexploités qu’ils en sont devenus stériles et ne peuvent désormais plus rien produire sans apport externe artificiel, mettant en place un cercle vicieux que certains agriculteurs n’arrivent plus à enrayer.

L’environnement a été tellement détruit que l’équilibre ancestral en a été bouleversé, la suppression des talus, des mares, des zones humides a favorisé la multiplication des inondations et l’appauvrissement du sol.

Les agriculteurs, désormais cantonnés au rôle de simples exécutants, ont fini par perdre petit à petit leur expertise, leur rapport à la terre, à la nature et à ses cycles, ils ont été privés de leur « science empirique » de la biodiversité et de la complémentarité des éléments naturels, cette science qui les rendait maitres dans l’art d’associer les plantes, de les sélectionner en fonction de leur adéquation avec leur environnement.

Ce modèle, vieux de plus de 60 ans, est maintenant reconnu pour ce qu’il est : une catastrophe environnementale et humaine.

C’est pourtant ce modèle issu de l’aveuglement bureaucratique que Jean-Michel Blanquer entend appliquer à l’école et à la pédagogie. La « modernité » du ministre a plus de 60 ans. Peut-être faut-il lui offrir une retraite bien méritée !

Vers un « remembrement scolaire »

Car c’est bien, en définitive, un « remembrement scolaire » qui est à l’œuvre sous la férule autoritaire du ministre de l’Éducation médiatique : mêmes méthodes imposées à tous, resserrement des contenus disciplinaires autour du français et des mathématiques (quitte à faire disparaitre les autres), négation de l’histoire et de la culture pédagogique des enseignants, des syndicats et des mouvements pédagogiques. Tout doit être normé, tout doit être conforme à ce qu’en ont décidé les bureaucrates et les idéologues de la rue de Grenelle : les programmes, les méthodes, les emplois du temps, les enseignants, la hiérarchie intermédiaire... et les enfants !

Tout comme le remembrement rural a conduit à un appauvrissement sans précédent des terres et de la biodiversité, c’est vers un inévitable appauvrissement que nous mène le remembrement scolaire : appauvrissement culturel pour les enfants dont les horaires scolaires se centreront quasi exclusivement sur le français et les mathématiques ; appauvrissement professionnel pour les enseignants et enseignantes qui se voient petit à petit privés d’autonomie, dépossédés de leur culture professionnelle et de leur expertise ; appauvrissement pédagogique aussi par la marginalisation, la stigmatisation même des militants et des mouvements pédagogiques, par la disqualification de la recherche en histoire de la pédagogie et des pédagogues, en philosophie de l’enseignement, en sociologie de l’école au profit quasi exclusif des neurosciences ; appauvrissement financier enfin avec la poursuite du gel du point d’indice (on ne parle d’ailleurs plus de point d’indice de la fonction publique, mais de permafrost salarial) et la mise en œuvre de mesure de réforme du régime de retraite dont le préjudice sera démesuré pour les enseignants (les projections font état d’une perte mensuelle moyenne de 400 € pour les enseignants du premier degré soit une perte de 96 000 € au bout de 20 ans de retraite !).

Toutefois, si cet appauvrissement est inévitable compte tenu des mesures prises par l’actuel gouvernement, il n’est pas inexorable.

Et si nous refusons cette école atomisée, éparpillée façon puzzle aurait dit Audiard, il nous faut définir cette école que nous voulons, cette école pour laquelle nous sommes prêts à nous battre, car, grâce à la force des enseignants et des enseignantes de terrain, à leur créativité, à leur combativité, grâce à la vivacité de certains mouvements pédagogiques nous avons nous aussi « des flingues de concours et la puissance de feu d’un croiseur » !

Contre le remembrement scolaire, il nous faut construire une école « bio », qui respecte l’écosystème scolaire : ses contenus comme ses agents. Ce n’est que collectivement que cela sera possible. J’aurai l’occasion d’y revenir prochainement.

Cédric Forcadel, militant de l’ICEM-pédagogie Freinet, auteur de « dessine-moi une école où il fait bon vivre »

 



[1] (REUTER, 2007)