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Février 2000

 

  CréAtions 90 - Identité - Altérité - publié en janvier-février 2000

Nicole Bizieau

 

Edito

Identité, altérité. « Le moi et le je. Si j’hésite si souvent entre le moi et le je, si je balance entre l’émoi et le jeu, c’est que mon propre équilibre mental en est l’enjeu. J’ignore tout des règles de ce Jeu cruel et tendre à la fois à la fois entre le moi et le jeu. » Serge Gainsbourg.

Le Moi, l’identité, mon identité. La carte d’identité, sur laquelle je colle ma photo et qui indique tous les critères de ce que je suis physiquement et socialement et qui me différencie de tout(e) autre, qui me permet de me reconnaître parmi les autres êtres humains, mes semblables. Je suis une parmi d’autres. Mon identité ne vaut que si elle est reconnue par les autres. D’autre part, elle fixe mon appartenance au groupe (je suis reconnue comme élément d’une communauté) ; d’autre part, elle affirme ma différence, mon unicité, ce en quoi je suis moi, spécifiquement moi et non une autre. De même, face à l’autre, je me retrouve et je le (me) reconnais, mon semblable, membre comme moi de l ‘humanité. Mais je ne le reconnais que pour mieux m’en distancier : je reconnais qu’il n’est pas moi, je le reconnais dans sa différence à moi. « Le moi se pose en s’opposant. »

La classe coopérative joue en permanence ce double jeu de l’identité collective et de l’individu socialisé. L’être n’existe que par la reconnaissance de son unicité dans le groupe auquel il appartient, par ses caractères, par l’utilité et la richesse de ce qu’il apporte aux autres, par la reconnaissance de sa place et de ses différences.
L’expérience artistique implique la personne par les ressources qu’elle puise en elle et qu’elle doit mobiliser pour passer de la pensée à sa matérialisation. Identité, mais aussi altérité, parce qu’elle se situe dans une relation permanente à l’autre.
L’identité de chacun est dépendante du regard de l’autre et de l’image qu’il renvoie.
La pratique des disciplines artistiques est une prise de risque parce qu’on se livre au regard de l’autre tout autant qu’au sien propre. Elle oblige donc à la prise en compte de tous. L’artiste dévoile par ses choix plastiques, conscients ou non, son vécu, sa sensibilité, son expérience et son interprétation du monde… son identité.
C’est dans ces situations du rapport à soi, du rapport à l’autre, du rapport au monde, que l’art permet de construire sa personne et de l’accepter ou de la refuser, de la modifier, de la construire autrement. Il permet la prise de conscience de la réalité de soi, de l’étrange, de l’étranger en soi et chez les autres.

Lorsque nous proposons des activités d’expression aux enfants, nous savons qu’elles seront un élément dans la construction de leur personnalité, parce que nous les incitons ainsi à poser un acte au regard de l’autre, à se poser soi-même dans le groupe, à exister en assumant son « œuvre », son « moi ». Nous n’ignorons pas non plus qu’elles seront dangereuses, puisque conduisant à se reconnaître, se faire reconnaître, voir rejeter, discréditer et se poser parmi les autres ou en être exclu. Oser dire Je est donc une prise de risque énorme. C’est pour cela que la plupart du temps existent des résistances à l’expression, si révélatrice d’identité. L’autre est celui que je découvre et que j’accepte dans ce qu’il me renvoie de moi-même. Seul, mon identité ne prendrait aucun sens. Paraphrasant la formule bien connue, nous pourrions affirmer : « C’est à plusieurs qu’on se construit tout seul. »


Nicole Bizieau

                 sommaire n° 90 - Identité, Altérité