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Poésie-identité

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Février 2000

 

 

La plasticienne Nicole est arrivée à l’école avec des sacs de papier bleu, un pour chaque enfant, remplis d’un tas de choses : mousse, morceaux de bois, feuilles, tissus, plumes, boules. Quel plaisir de fouiller parmi tous ces trésors, de faire son choix pour créer peu à peu un objet humain, végétal ou animal, pouvant être abstrait si on le désirait.
Chacun a donné un nom à son personnage, un nom commençant par P. Le dictionnaire des symboles a bien servi ce jour-là. Chacun cherchait un nom convenant à ce qu’il sentait de son personnage. Ainsi sont nés Poussichoc, Perlotte, pétrificateur, Piranta, Papa Cool…
Dans des textes les enfants ont donné vie à leurs sculptures.
Il y a là recherche de l’identité, de la place dans le monde. Les enfants, si on veut bien les conduire sur ce chemin, savent aller vers le sens caché, les symboles.

Pensée
Pensée est sur une étoile,
une étoile bleue.
Pensée vole chaque nuit
pour explorer la nuit.
Il ne dort pas et ne mange pas.
Il veut la paix sur le monde.
Sur son étoile, il y a des plantes bizarres,
sans nom.
Il y a des montages, il n’y a ni eau
ni arbres, il y a l’herbe et les fleurs.
Julien
                
                                                                      

Le Pigeon des nuits
Comme une perdrix dans la nuit.
Dominant sa pyramide,
il essaie de délivrer ses pattes pour aller
vers un mode lointain.
Le parfum de la terre promise
sent le sel des mers tropicales.
Mais il sait qu’il n’arrivera jamais
à se détacher de sa pyramide.
Audrey


Patesurf
Patesurf vit sur l’eau
Eau du ciel
Eau de la mer.
Il a un pouvoir, il surfe dans l’air.
Il construit ses vagues avec les nuages.
Il vole de planète en planète
de la Terre à Jupiter, de Saturne à Vénus
et de Vénus à ses rêves.
Eloïse

 

 

Papillolé
Elle est très fragile.
Elle a souvent peur.
Elle devine tout, elle a de l’intuition.
Elle n’est pas très belle.
Tout le monde a peur d’elle.
Tout le monde l’évite.
Tout le monde la craint.
Elle sait l’avenir.
Elle devine les sentiments.
Elle devine les pensées et les destinées.
Grégoire


Avec Max, le sculpteur, sont nés de grands personnages en bambou, ficelle et bandes plâtrées. La seule consigne était de réaliser une base polyédrique pour la stabilité de la sculpture. Ces personnages n’ont pas reçu de nom. Les enfants les ont vus comme des structures pouvant accueillir leur petit personnage, établissant entre les deux une relation affective (comme mère/enfant).

L’école était déjà bien encombrée avec toutes ces statues. Cela n’a pas empêché Max d’arriver un jour avec vingt-six matelas mousse et des bobines de ficelle. Et chacun s’est mis à plier, couper, tordre, s’asseyant, s’allongeant sur la mousse (quel plaisir, ce contact avec la matière !) pour que ça tienne, ficelant pour emprisonner des volumes, regardant, observant touchant, rectifiant, n’oubliant pas d’aider celui qui ne s’en sort pas.

   Peupliane
Peupliane représente la vie secrète d’un monde inconnu.
Quand l’eau coule sur ses feuilles, un souvenir se lit sur ses racines.
Un souvenir immense, ce souvenir est un paysage de pastèques.
Des pastèques sur lesquelles elle aimait se rouler. Elle était petite.
Pour les animaux elle est grande. Une paix plane au-dessus de cette plante.
Une paix élastique et silencieuse. Peupliane aime la pluie, l’herbe, le soleil.
Peupliane berce les papillons.
                                                                                                                         Salomé
   

 

 

J’écris pour effacer ma colère.
J’écris pour mon avenir.
J’écris pour les monstres de mon imagination, pour le bon et le mauvais temps.
J’écris pour être près de la vie, pour voir la vie en couleur.
Je veux écrire sous l’eau, dans le soleil et dans l’espace.
Je veux conquérir l’écriture.
Coline
                                                                                                                                                           

« Cette faculté qu’ont les enfants de travailler dans toutes les positions, aussi à l’aise assis à leur table que vautrés parterre ou rivés à un chevalet de fortune ! Et jamais la main ne tremble, n’hésite…
Cela laisse rêveur le praticien qui nourrit son art du doute et du repentir. C’est un peu lui qui, d’une certaine façon, retourne à l’école.»
, (extrait du livre Poésie Arc-en-ciel écrit par André-Yves Dautier).
 

  

Puis il y a eu la séance de peinture de ces gros personnages de mousse brute. Et là, il y eut des surprises extraordinaires : c’était comme si les couleurs faisaient naître des personnages que l’on n’attendait pas. Les enfants les ont appelés « les patoufs ».

Parallèlement aux séances d’arts plastiques, la comédienne Dominique Duby a proposé aux enfants un travail d’improvisation théâtrale. Les enfants ont eu à réfléchir, à imaginer, à improviser avec le corps, avec les mots, sur l’identité. Identité des personnages sculptés : qui étaient-ils ? A quels mondes appartenaient-ils ? Identité des enfants acteurs au milieu de ces sculptures : d’où venaient-ils ? Qui allaient-ils être ? Quelle allait être leur existence ?
Les enfants ont touché du doigt le passage de la non-identité à l’identité, de la non-existence à l’existence.
Et ils ont écrit à partir de tout ce qu’ils venaient de vivre. Ils ont écrit leurs colères, leurs désirs d’écrire, leurs désirs d’évasion, sans oublier la lettre P.
De fil en aiguille, d’exploration en séances d’écriture, d’ateliers de sculpture en ateliers de théâtre, Le Polygone est géométriquement poilu, sans idée préconçue au départ, a pris forme petit à petit. A partir de tout ce qu’ont proposé les enfants. Dominique a écrit un texte qui donne au spectacle tout son sens.
Ce spectacle a été donné lors d’une rencontre finale qui rassemblait les six classes participant au projet.
Maudire
Maudire l’argent
             le pouvoir
             le travail inutile
Maudire la mort
            Satan et Lucifer
Maudire la guerre et le sang
Maudire le jour où on mourra
Maudire tout ce qui est obscur

Maudire les canons de la guerre
             les champs de bataille
             les épées qui ont servi
Maudire l’esclavage
             ceux qui polluent
Maudire les légendes qui font peur
Maudire la violence
Maudire la pâleur de la Lune
                      Texte collectif

                                                                         

 

Drôle de monde
Je vois un monde de fous, d’humoristes où les géants ont peur des nains. Dans ce monde on ne change pas de jour, on est le 1er avril et pour toujours. On ne peut pas passer dans la rue sans avoir un poisson d’avril accroché dans le dos.
C’est un monde où les éléphants vous racontent des blagues, où les objets et les animaux ont des noms bizarres. Voici quelques noms de villes : Rirabien, Guiliguili, Hahaha.
C’est un monde interdit aux gens tristes où les rigolos font la loi avec des farces et attrapes.
Texte collectif

Le Polygone est géométriquement poilu
Quand le prophète leur demanda :
- Comment vous appelez-vous ?

Ils répondirent : Personne… pas… perdu…
Ils dormaient, ils n’avaient pas besoin de nom, ils n’avaient pas d’existence, pas de mouvement, pas de vie.
Un matin, ils se réveillèrent et se virent sans vie ! Situation horrible ! Que faire ? Partir… où ? Ailleurs, découvrir le monde et les êtres, bouger se déplacer, l’aventure… Effectivement, des mondes il y en avait plein, des rigolos et des effrayants. Pareil pour les êtres, il y en avait, loin vers le nord, des Patoufs mous, cool et sympas et des Peuplianes, petits personnages tristes, séparés de leur double, de leur mère, de leur pays peut-être ?
Leur pays ? Au fait, leur pays à ceux qui n’ont pas de nom, leur pays leur semblait terriblement lointain…
Le prophète les attendait à la frontière :

- Et maintenant… qu’allez-vous faire ? Allez-vous vous rendormir ?
- Non, et non. Faire de la poésie, jouer, écrire pour le plaisir, jouer puis bouger.
Le prophète leur demanda encore :
- Comment vous appelez-vous ?
- Pastille, Patagonie, Pôle Sud, Pastourelle, Pierre, Piment, Pilier, pédoncule, Perce-neige, Perle, Phoque, Plume, Pluie…

Et ils se mirent à chanter.
Dominique Duby
Lettre
Monsieur le Ministre de la culture,
si vous existez, faites que nature reprenne
sa vie normale au lieu de rester là
dans votre fauteuil à dire « je m’en fous,
je gagne de l’argent,
c’est tout ce qui compte.»
Julien

                                                                       
Le peuple de rêve
Il y a un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants aux yeux de pluie, aux cheveux de neige, aux mains de terre, aux joues de flammes, aux pieds de vent. Ils ne dorment jamais, ils se nourrissent de l’air du temps. Leurs vêtements sont les couleurs de l’arc-en-ciel. Les femmes les tissent sur des grandes planches aux reflets de feu. Toute la nuit les enfants jouent avec les étoiles. Les hommes mangent les mille rayons du soleil, les femmes dévorent le noir de l’espace et les enfants boivent l’eau des océans.
Julien

Autour de la lettre P
Un monsieur pensait
En palpitant à son point d’origine
Moi, je suis un vrai pilier
De problèmes à perpétuité
Mes pensées sont des pierres
Mon patrimoine est en péril
Mes plans ne font peur à personne
Mes phrases pèsent des pavés
Mon passé es tune plaine sans fin
Ma présence fait que la pluie tombe
Mes pieds ne font que piétiner
Mon pantin est parti
Il n’a pas supporté mon poids

Il se disait
Paraître patient, paraître pétillant
Payer pour paraître paisible
Manger du pain pâle
Regarder rire une poule dans un palais
Ressembler à un psychiatre couché
Sur une pierre polie

Et puis
Tu as palpé le phénomène du paradis
Et le palmier s’est mis à pousser
Au bout de tes pieds
Le polygone est géométriquement poilu (bis)
                    Texte collectif

                                                                                    

 

Je n’aime pas qu’on me possède,
qu’on fasse de moi quelqu’un comme les autres,
qu’on me commande.
Je veux pouvoir m’exprimer comme je veux
et que personne ne me dise non.
Florian                                            

 « La richesse de cette expérience tient au fait que l’on y a assemblé les mots autant que les couleurs, manipulé les phrases autant que les matières, parfois même les concepts… puis, dans les meilleures occurrences, mélangé le tout, plié les corps de produits de la création. » (extrait du livre Poésie Arc-en-ciel écrit par André-Yves Dautier).

 

    sommaire n° 90 Identité, Altérité

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