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Poésie-identité

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Février 2000

 

 

Land-art

 Nous avons commencé à travailler au mois de février. Il nous restait alors cinq mois pour trouver notre identité de groupe, l’inscrire dans le paysage (c’était cela le land-art), en tenant compte de la lettre O du mot « poésie » qui nous avait été attribuée, et mêler le tout poétiquement et plastiquement.

Un après-midi par semaine, de février à juin, nous avons reçu dans notre classe deux artistes marseillais : Oliver Tourenc et Didier Chauvin, l’un plasticien, l’autre architecte.
Au début, notre réflexion s’est portée sur la notion d’art, et la représentation qu’en avaient les enfants. Certains ont dit :
« L’art c’est un métier,
l’art c’est le savoir-faire,
l’art c’est la sculpture, la peinture, le bricolage,
l’art c’est l’aquarelle,
l’art moi, je connais le 7e art… »

On a un peu bousculé leurs idées reçues, et ce jour-là, ils sont descendus en récréation, un peu plus «grandis». Je crois qu’ils avaient compris qu’une œuvre d’art c’est quelque chose qui est peut-être là pour transmettre le message d’un artiste…

Puis, Olivier et Didier leur ont parlé du land-art : un drôle de truc, fait par de drôles d’artistes, sans papier, sans crayon, sans pinceau, sans peinture… un truc où on se sert de la nature, de la rue. Ils leur ont montré des images, les ont emmenés au musée d’Art contemporain à Marseille, et là encore, les enfants ont compris un certain nombre de choses essentielles qui animent ces artistes :
- que l’important c’est de faire, et pas que ça reste,
- que le geste créateur peut avoir valeur de symbole, ainsi ce trait réalisé dans la glace par Denis Oppenheim, œuvre éminemment éphémère mais qui représente un lien entre deux pays voisins, les Etats-Unis et le Canada…
A les entendre, intarissables sur ce sujet, lançant des noms sans avoir l’air d’y toucher – Christo, qui les a emballés ; Smithson, celui qui construit des spirales dans l’eau ; Chris Burden qui a fait de la bicyclette dans la vallée de la Mort ; Richard Long qui s’amuse à laisser des traces de son passage dans tous les déserts du monde… - on sent qu’ils n’ont pas été indifférents, ils ont même une certaine fierté d’avoir appris quelque chose de nouveau et de difficile.

 

A partir de ce moment-là, ils ont compris aussi que ce qu’ils allaient produire ne serait pas forcément « beau »… Ah ! les regards envieux jetés vers la classe de Monique qui, faisait partie du même projet, tripotait, elle, de la mousse, de la ficelle, des couleurs, des roseaux, du plâtre…
Ils ont compris que le « beau » était dans la démarche… et que faire de l’art, c’est faire de la recherche… et que quelque part, ils étaient eux aussi des aventuriers de dix ans. Alors, ils ont eu eux-mêmes une démarche artistique, c’est-à-dire avant tout théorique et abstraite.

Cela a été dur pour eux, toutes ces discussions, toute cette réflexion d’artiste.
Ils disaient :
« Moi, j’aime bien quand on fait quelque chose, mais pas quand on discute. »
« C’est très compliqué ce qu’ils nous disent Olivier et Didier. »
« Ça dure trop longtemps quand ils viennent. »
« Olivier et Didier ils viennent trop souvent et trop longtemps, et on parle toujours du même sujet (l’identité du groupe). »
« Ils sont trop sérieux, si on s’amuse, ils nous disent chut, mais nous ça nous intéresse pas leur sujet. »
« C’est trop long ! »
« On sait pas à quoi ça va servir, ça nous donne pas envie d’écouter. »
« J’aime bien ce qu’ils nous font faire, mais j’aimerais avoir un but. »

Ils ont quand même réfléchi, et cherché, et trouvé quelque chose d’essentiel qu’ils voulaient dire aux autres. C’était leur message d’artiste et il disait : « Il faut respecter l’individu. »

Pour en arriver là, ils sont d’abord partis à la recherche de phrases pour déterminer un thème qui exprime leur identité de groupe. Ils ont trouvé quantité de phrases et ces phrases disaient que tous ils étaient contre le racisme, contre l’exclusion, contre la pollution, conte la drogue, contre la guerre.
Alors, ils ont dessiné la tabagie, la pollution, la guerre, la dispute, la générosité. Tout ça devait pouvoir se regrouper pour dégager un thème unanime… on a débattu, puis on a voté.
L’idée qui résumait tout et qui pouvait traduire l’identité de groupe, c’était « le respect de l’individu ».

 

Cette idée, il fallait la reconnaître, la porter dehors, la transcrire dans le paysage pour que ce soit du land-art. Et le paysage autour de l’école, c’est la ville. Le quartier de la ZUP d’Encagnane.

Alors ils sont allés mettre de l‘art et de la poésie, là où il n’y a que des routes et des trottoirs. L’idée d’un parcours dans le quartier a donc germé peu à peu.

« Sur ce parcours, chacun marquerait son emplacement par un rond (un rond, parce que la lette était le O, parce que O représente bien l’individu ou, si on le fait plus grand, le groupe, parce que O n’a ni début ni fin) à la craie et y écrirait un poème ; chaque rond serait relié au suivant par un chemin. En le suivant, on découvrirait un grand poème sans début ni fin qui parlerait du respect de l’individu.

Olivier et Didier sont alors allés repérer dans le quartier vingt-cinq emplacements situés sur un cercle (le O) de 250 mètres de diamètre dont l’école était le centre ; ils en ont fait des photographies, les ont distribuées aux enfants qui se les sont appropriées en exprimant dessus, par un collage l’idée de leur poème.
 

Et le 18 juin, la performance a eu lieu.

     

Olivier et Didier débarquent ce jour-là avec deux cartons pleins d’énormes morceaux de craie, deux pots de colle forte, une lavette à vaisselle pour étendre la colle, une extraordinaire machine pour tracer « le chemin », les plans du parcours. Les vingt-cinq enfants vont répéter l’un après l’autre, chacun à l’emplacement prévu, le rituel mis au point : tracer son cercle, y pénétrer, déclamer son poème qui parlait du respect de l’individu, coller à l’intérieur le texte écrit sur une page de classeur.

Les rares passants rencontrés se montrent indifférents, ou intrigués, voire finalement franchement intéressés.

Chaque enfant s’inquiétait du temps que les mots qu’ils avaient semés en chemin resteraient visibles… quelques jours pour certains, quelques mois pour d’autres… mieux collés.

Aujourd’hui, il ne reste plus trace de leur « performance ».
Mais n’est-ce pas la démarche et le sens qu’ils lui ont donnés qui comptent plus que la trace de l’œuvre ?


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